Numéro 22 – 14 octobre 2010
LE FRANCHISAGE
L’ARRÊT MIDAS A DES TENTACULES
Aux termes de l’article précédent sur le franchisage, le cas Midas a été analysé sous l’angle de l’obligation d’un franchiseur de fournir à un franchisé prospect un document d’information en vertu du « Arthur Wishart Act » (la « Loi »). Les répercussions de l’affaire Midas sur le franchisage ont été senties à travers le Canada.
L’article a sollicité beaucoup d’attention et j’ai reçu de nombreuses questions et commentaires. Tout cet engouement m’a amené a analyser davantage le cas Midas. Comme vous le lirez ci-dessous, les effets vont loin et la pipeline entière de certaines industries sera frappée par ce cas qui prend vie de lui-même.
Le premier article et le jugement Midas sont en ligne sur mon site internet: www.claudepellan.com.
A. Résumé des faits
Le demandeur était un franchisé Midas impliqué dans un procès suite à un recours collectif contre Midas Canada, le franchiseur. Pour déterminer la loi applicable afin de résoudre la question relative au litige, la Cour d'appel de l'Ontario a étudié la clause relative à la loi gouvernant les parties dans la convention de franchise. La convention de franchise standard de Midas Canada stipulait que la loi de l'Ontario est celle qui devait s’appliquer aux franchisés situés en Ontario, Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.
À la Cour, tandis que les représentants de Midas Canada soutenaient que la Loi (la loi sur le franchisage de l'Ontario) stipule spécifiquement qu'il s'applique seulement aux franchises exploitées dans la province de l'Ontario et aux personnes qui vivent dans cette province, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que les parties à un contrat étaient libres d'élire les lois gouvernantes de n'importe quelle juridiction pour s'appliquer à leur relation légale.
B. Matière à réflexion
1. Définition de la franchise
Il n'y a aucune définition légale de la franchise codifiée au Québec et dans les autres provinces qui ne possèdent pas de législation en matière de franchisage. Cependant, je vous réfère à la définition de la franchise stipulée dans la Loi qui énonce ce qui suit:
« Franchise » Droit de se livrer à une activité commerciale à l’égard de laquelle le franchisé est tenu, par contrat ou autrement, de verser ou de s’engager à verser, directement ou indirectement, un paiement ou des paiements périodiques au franchiseur ou à la personne qui a un lien avec lui, dans le cadre de l’exploitation de l’activité commerciale ou comme condition de l’acquisition de la franchise ou du commencement de son exploitation, selon lequel droit :
a) soit :
(i) d’une part, le franchiseur concède au franchisé le droit de vendre, de fournir, de mettre en vente, d’offrir ou de distribuer des biens ou des services qui sont essentiellement associés à la marque de commerce, à la marque de service, à l’appellation commerciale, au logo, à un symbole publicitaire ou autre symbole commercial du franchiseur ou de la personne qui a un lien avec lui,
(ii) d’autre part, le franchiseur ou la personne qui a un lien avec lui exerce un contrôle important sur le mode d’exploitation du franchisé, notamment la conception et l’ameublement du bâtiment, les emplacements, l’organisation de l’activité commerciale, les techniques de commercialisation ou la formation, ou lui apporte une aide importante à cet égard;
b) soit :
(i) d’une part, le franchiseur ou la personne qui a un lien avec lui concède au franchisé des droits de représentation ou de distribution, que cela fasse ou non intervenir une marque de commerce, une marque de service, une appellation commerciale, un logo ou un symbole publicitaire ou autre symbole commercial, en vue de vendre, de fournir, de mettre en vente, d’offrir ou de distribuer les biens ou les services fournis par le franchiseur ou un fournisseur qu’il désigne,
(ii) d’autre part, le franchiseur, la personne qui a un lien avec lui ou un tiers qu’il désigne apporte son aide relativement à l’emplacement, notamment pour obtenir des points de vente ou des clients de détail pour les biens ou les services à vendre, à fournir, à mettre en vente, à offrir ou à distribuer, ou pour obtenir des emplacements ou des lieux pour installer les distributeurs automatiques, îlots de vente ou autres présentoirs de vente des produits qu’utilise le franchisé. («franchise»)
Tandis que la première partie de la définition est similaire à celle rédigée par un certain nombre d'avocats en droit de la franchise au Canada, la deuxième partie de la définition est beaucoup plus large que la définition "traditionnelle" d'une franchise.
En effet, elle inclut les droits de représentation et de distribution et se réfère spécifiquement « aux distributeurs automatiques, présentoirs ou d'autres présentoirs de vente de produits…».
Il s’ensuit que le cas Midas aura non seulement des répercussions à l’égard des entreprises qui opèrent selon le modèle d’affaires de la franchise, mais également sur de nombreux autres modèles d’affaires de distribution. Par exemple, il s’appliquerait aux affiliations, concessions, marketing à multiples paliers, ventes directes, contrats de distribution, groupes d'achat, certaines licences, fabricants, agents, etc.
En outre, une franchise inclue la « franchise maîtresse » et la « sous-franchise ».
Si vous tombez dans l’une de ces catégories de modèles d’affaires et si la loi gouvernant votre relation légale est celle de l'Ontario, l’Alberta ou l'Île-du-Prince-Édouard, je vous suggère de faire appel à un avocat en droit de la franchise afin d’étudier votre convention de franchise pour déterminer si elle tombe dans les tentacules du cas Midas.
2. Autres obligations des franchiseurs
Dans le premier article, j'ai traité de l'obligation du franchiseur de fournir à un franchisé éventuel un document d’information dans le cadre d’une convention de franchise gouvernée par les lois de la province de l’Ontario.
Cependant, la loi crée un certain nombre d'obligations pour les franchiseurs et un certain nombre de droits pour les franchisés.
Puisqu’il y a trop d’obligations et de droits pour les décrire intégralement aux termes des présentes, je ferai référence à quelques exemples, notamment:
i) la convention de franchise impose à chaque partie l’obligation d’agir équitablement dans le cadre de son exécution et prévoit un droit d’action contre l’autre partie si elle contrevient à cette obligation;
ii) le droit des franchisés de former une association et l’interdiction du franchiseur d’empêcher, d’interdire ou de limiter un franchisé de former un organisme de franchisés ou d’en joindre un ou de s’associer à d’autres franchisés. Le franchiseur et la personne qui a un lien avec lui ne doivent pas, directement ou indirectement, pénaliser, tenter de pénaliser ni menacer de pénaliser le franchisé parce qu’il exerce un tel droit;
iii) l’obligation du franchiseur de fournir à un franchisé éventuel une déclaration écrite qui fait état de tout changement important qui pourrait avoir un effet significatif sur la valeur ou le prix de la franchise à être accordée ou sur la décision d’acquérir une franchise. Cette obligation, au même titre que l’obligation de fournir à un franchisé éventuel un document d’information, emporte le même droit d’action pour le franchiseur d’acheter l’entreprise du franchisé (Voir le premier article à cet effet).
3. Renouvellements et prolongations
Dans le premier article, mes commentaires se sont limités aux franchises accordées pendant les deux (2) dernières années. Cependant, la Loi va plus loin en ce que l’exigence de divulgation et les autres obligations s'appliquent également aux renouvellements et aux prolongations d'une convention de franchise:
« 2 (1) Application
2. (1) La présente loi s’applique à l’égard du contrat de franchisage conclu le jour de l’entrée en vigueur du présent article ou après ce jour, à l’égard du renouvellement ou de la prorogation du contrat de franchisage conclu avant ou après le jour de l’entrée en vigueur du présent article et à l’égard de l’activité commerciale exploitée aux termes du contrat, du renouvellement ou de la prorogation si tout ou partie de l’activité commerciale qu’exploite le franchisé aux termes du contrat, du renouvellement ou de la prorogation doit être exploitée en Ontario.
Cela signifie t’il que les conventions de franchise qui ont été renouvelées et prolongées durant les deux (2) dernières années tombent dans l’obligation du franchiseur de fournir à ces franchisés un document d’information?
D’une part, certains pourraient soutenir qu’un simple renouvellement ou prolongation sans aucun changement à la convention de franchise et au concept est seulement le prolongement d’une relation d’affaires existante et par conséquent, que la loi s’applique seulement aux nouveaux franchisés.
D’autre part, un franchiseur pourrait requérir des changements à une convention de franchise et au concept suivant le renouvellement ou la prolongation de la convention de franchise, incluant de nouvelles obligations financières et un investissement important de la part des franchisés. Dans ces circonstances, on pourrait soutenir qu'en raison des changements importants imposés par le franchiseur, le franchisé serait un « nouveau » franchisé et devrait être traité comme un franchisé éventuel. Donc, le franchiseur devrait fournir à ces franchisés un document d’information.
4. Franchisés et le bail
Un franchiseur ne fournit pas un document d’information à un franchisé éventuel. Le franchisé fait parvenir au franchiseur un avis de résolution de la convention de franchise. Qu’arrive-t-il avec le bail?
La réponse à cette question dépend de nombreux facteurs incluant notamment qui du franchiseur ou du franchisé est sur le bail principal et s’ils ont fourni d'autres garanties au bailleur (une hypothèque mobilière et/ou une garantie personnelle).
Premièrement, il est important de noter que les bailleurs ne sont pas soumis à la Loi.
La résolution de la convention de franchise implique la remise en état des parties dans la même situation qu’elles étaient à la signature de la convention.
La Loi stipule que le franchiseur a soixante (60) jours de la date à laquelle il reçoit l'avis de résolution pour rembourser au franchisé toute somme reçue de lui ou pour son compte (frais de franchise, royautés, etc.) et racheter les stocks, fournitures et le matériel acquis par ce dernier.
De plus, il devra indemniser le franchisé pour toutes pertes qu’il a subies dans le cadre de l'acquisition, l’établissement et l’exploitation de la franchise.
Il n'y a rien de spécifique dans la Loi qui traite du bail ou sous-bail signé par le franchisé, la Loi traite seulement de la résolution de la convention de franchise et non pas des autres contrats standards qu'un franchisé signe avec un franchiseur ou une tierce partie.
Ainsi, qu’arrive-t-il avec le bail lorsqu’un franchisé met fin à la convention de franchise? Qu’en est-il des actionnaires et dirigeants du franchisé qui ont personnellement garanti le loyer payable en vertu du bail? La loi a-t-elle omis de prendre en considération cette situation et rend de ce fait pratiquement impossible pour un franchisé de résoudre sa convention de franchise?
4.1 Franchisé à titre de sous-locataire
Beaucoup de franchiseurs ont comme politique d'être le locataire aux termes du bail principal pour la totalité ou une partie des emplacements où ils accordent des franchises. Ils sous-louent par la suite le local à leur franchisé.
Dans ce contexte, le franchisé signe un sous-bail avec le franchiseur. Tel que mentionné précédemment, le sous-bail ne tombe pas dans les contrats qui peuvent être résolus par un franchisé en vertu de la Loi.
Cependant, la convention de sous-bail est simplement comme tous les autres contrats ancillaires ou auxiliaires qu'un franchisé signe avec un franchiseur lorsqu’on lui accorde une franchise. Donc, étant donné que la convention de franchise est la convention principale signée entre le franchisé et le franchiseur, si elle est annulée, je suis d’avis que tous les contrats accessoires et auxiliaires à la convention de franchise seront également annulés. Cela inclurait aussi l’hypothèque mobilière, la garantie personnelle, la convention de location d’équipements, la convention de consignation, etc.
Tous ces contrats existent en raison de la convention de franchise et si cette dernière est résolue (comme si elle n'avait jamais existée) il en résulte que tous les autres contrats seraient automatiquement annulés en même temps telle que la convention de franchise…et le franchiseur demeurera responsable du paiement du loyer conformément au bail puisqu’il est le locataire en vertu du bail principal.
4.2 Franchisé sur le bail principal
Tel que déjà mentionné, un bailleur n'est pas soumis à la Loi. Ainsi, lorsqu’un franchisé envoi un avis de résolution de la convention de franchise au franchiseur, qu’arrive-t-il au franchisé qui a signé un bail?
Les sections 6 (6) d) et 7 de la Loi stipulent qu’un franchisé a un droit d’action en dommages-intérêts dans le cas où il subit une perte:
Obligations du franchiseur lors de la résolution
(6) Le franchiseur ou la personne qui a un lien avec lui, selon le cas, fait ce qui suit dans les 60 jours de la date de prise d’effet de la résolution :
a) …
d) il indemnise le franchisé des pertes qu’il a subies dans le cadre de l’acquisition, de l’établissement et de l’exploitation de la franchise, déduction faite des sommes visées aux alinéas a) à c).
Dommages-intérêts pour cause de présentation inexacte des faits ou de non-divulgation
7. (1) S’il subit une perte en raison d’une présentation inexacte des faits dans le document d’information ou dans une déclaration qui fait état d’un changement important ou parce que le franchiseur ne s’est pas conformé de quelque façon que ce soit à l’article 5, le franchisé a le droit d’intenter une action en dommages-intérêts contre les personnes suivantes :
a) le franchiseur;
b) le mandataire du franchiseur;
c) le courtier du franchiseur, à savoir une personne, à l’exclusion du franchiseur, d’une personne qui a un lien avec lui, de son mandataire et du franchisé, qui concède une franchise, qui offre, notamment par voie de commercialisation, d’en concéder une ou qui prend des mesures pour qu’il en soit concédé une;
d) la personne qui a un lien avec le franchiseur;
e) toute personne qui a signé le document d’information ou la déclaration qui fait état d’un changement important. »
Il s’ensuit que si le paiement du loyer par le franchisé lui cause une « perte », le franchisé aurait une réclamation contre le franchiseur à ce titre. Donc, encore ici le franchiseur deviendrait responsable du paiement du loyer conformément au bail signé par le franchisé.
5. Autres juridictions
J'ai traité du contexte suivant lequel les franchiseurs situés au Canada exploitent un réseau de franchises au Canada.
Qu’en est-il des franchiseurs d'autres pays qui accordent des franchises, franchise-maîtresse ou sous-franchise au Canada et qui ont une clause dans leur convention de franchise qui énonce que les lois de leur pays ou de leur état sont les lois gouvernantes? Et qu’en est-il des franchiseurs du Canada qui exportent leur concept de franchise dans d’autres pays avec une convention de franchise qui contient une clause que les lois gouvernantes applicables sont celles du Canada ou d’une province au Canada?
Je ne suis pas et ne prétends pas être un avocat international en droit de la franchise. Cependant, j'ai eu l'occasion de travailler dans des dossiers qui ont impliqué des franchiseurs des États-Unis et de l'Europe.
Donc, je peux confirmer que les États-Unis ont une législation fédérale et d’État en matière de franchisage, au même titre que certains pays européens. Par conséquent, les franchiseurs de ces juridictions qui ont accordés des franchises au Canada et établissent que la loi gouvernante entre les parties est celle des États-Unis ou d’un État des États-Unis ou celle d'un pays européen, devraient faire appel à un avocat en droit de la franchise afin d’obtenir une opinion juridique quant à la législation applicable à la relation franchiseur/franchisé. La même suggestion s’applique aux franchiseurs du Canada qui ont exporté leur concept de franchise dans d’autres pays.
Étant donné que les lois commerciales sont semblables à travers l'Amérique du Nord, certains franchiseurs canadiens et étrangers se retrouveront certainement dans la même position que Midas Canada.
C. Conclusions
Les répercussions de l’affaire Midas ne sont pas limitées au modèle d’affaire de la franchise, mais s'appliquent aussi à d'autres modèles de distribution. De plus, le cas Midas n’est pas limité aux franchises accordées pendant les deux (2) dernières années, il peut aussi s'appliquer aux renouvellements et aux prolongations de conventions de franchise. Par ailleurs, les franchiseurs ont plus d'obligations et les franchisés ont des droits. La législation en matière de franchisage est présente aux États-Unis et en Europe. Les questions soulevées par le jugement Midas ne sont pas uniquement de nature canadienne, elles sont internationales.
Étant donné les effets plus larges du cas Midas au Canada que les premiers anticipés, la Boîte de Pandore affectera non seulement les franchiseurs de l'Ontario, l’Alberta et l’Île-du-Prince-Édouard, mais également les franchisés de toutes les provinces et territoires du Canada, ainsi que les franchiseurs du Canada qui ont exporté leur concept de franchise à tout autre pays et les franchiseurs à l’extérieur du Canada qui ont exporté leur concept de franchise au Canada.
Ce qui était d'abord parti comme une tempête est maintenant un ouragan de catégorie 5!
Claude J. Pellan, Avocat
Droit de la franchise
www.claudepellan.com